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Interview
de
Robert CHAMBEIRON |
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Secrétaire
Général Adjoint du Conseil National de la
Résistance (1943 - 1944)
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AINSI FUT CRÉÉ
LE CONSEIL NATIONAL DE LA RÉSISTANCE... |
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Robert Chambeiron,
président-délégué de l'ANACR,
est aujourd'hui le seul à
pouvoir témoigner de la
préparation et du déroulement de la
réunion constitutive du "Conseil
National
de la
Résistance",
à laquelle il participa. Proche de Jean Moulin, l'initiateur
et le
premier
président du CNR, il en sera le
secrétaire-général adjoint. C'est donc
un
témoin privilégié que nous avons
interrogé. Ses réponses apportent à la
connaissance historique d'un organisme dont l'existence et le programme
ont
puissamment contribué à la libération
de notre pays et à sa
reconstruction,
même si toutes les espérances dont ils
étaient porteurs n'ont pas
toutes été
satisfaites. Laissons la parole à Robert Chambeiron.
Interview
réalisée par les « Ami(e)s de la Résistance »
(A.N.A.C.R.),
et publiée en mai 2007. |
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Le
C.N.R. a été constitué le
27 mai 1943. Le processus ayant conduit à sa
création a été initié
à
quelle
époque ?
Robert Chambeiron : Il est difficile de situer
avec précision la date des premières initiatives
ayant conduit à la
création du
C.N.R.. La
Résistance
a été un corps vivant, et son
évolution n'a pas échappé aux
mouvements
qui
agitaient la société de l'époque.
Beaucoup de temps s'est écoulé entre
l'effondrement de juin 1940 et la prise de conscience de la
nécessité
de
s'unir.
Dès le début, la
Résistance
est fragmentée. Il n'y a pas - ou peu - de
liaisons entre les mouvements, et encore moins avec Londres. En outre,
les
formes d'organisation et d'action ne sont pas les mêmes dans la Zone
occupée, en prise direct
avec l'occupant et son appareil répressif, et dans la Zone
dite "libre",
où une certaine liberté de mouvement,
même réduite, existait, au moins
jusqu'au
mois de novembre 1942.
Le débarquement allié en Afrique
du Nord, l'écrasement
de l'armée von
Paulus sur le front de Stalingrad, une répression de plus en
plus
féroce,
l'institution du Service du Travail Obligatoire,
c'est-à-dire la
déportation
organisée de la jeunesse française en Allemagne
pour combler les pertes
subies
par l'armée hitlérienne sur le front
soviétique, notamment, vont
détruire le
mythe d'une Allemagne invincible, apporter aux Français des
motifs de
résister
aux nazis et à Vichy, et les rapprocher progressivement de la
Résistance,
dont
l'action a pris une ampleur significative.
Mais pour vaincre, il faut être uni. Les
bataillons ne
sont pas suffisants,
il faut une armée. Ce sera l'objectif de Jean Moulin
dès le début 1941.
Recenser
les forces de la Résistance
sur le sol national, et rencontrer le Général de
Gaulle pour assurer
l'unité de
combat de la
Résistance
intérieure et de celle qui opère sur les
théâtres extérieurs de guerre.
Si des
signes très forts sont apparus dans la volonté
d'union des principaux
dirigeants des mouvements de Résistance, disons au cours de
l'année
1942, le
véritable tournant de la
Résistance se situe le
27 mai 1943, quand Jean Moulin réunit
le " Conseil National de la Résistance ".
Pour cela,
il a fallu surmonter bien des
obstacles, mais le but a été atteint.
L'unité est totale. |
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L'origine
de la création du
C.N.R. se situe-t-elle à Londres ou en France
occupée ?
R.C. :
Historiquement, les
initiatives ayant conduit à la création du C.N.R.
sont venues de la France
occupée. Et Jean
Moulin en est le symbole. A Londres, il parlait au nom de la
Résistance
intérieure.
Et il a été le seul commissaire
(c'est-à-dire ministre) dans le Comité
Français
de Libération Nationale (C.F.L.N.)
présidé par de Gaulle qui assumât
ses
fonctions sur le sol national. A compter de janvier 1942, lorsque Jean
Moulin
revient de son premier séjour à Londres, c'est en
accord avec le
C.F.L.N. et
son président que seront menées les
négociations, souvent ardues, avec
les
mouvements, les syndicats et les partis républicains
résistants.
La création du C.N.R. donne à la
Résistance
unie une dimension nationale et une
autorité accrue, en même temps qu'elle apporte au
général de Gaulle la
légitimité que lui contestaient les
alliés anglo-saxons. Les manœuvres
de
Vichy, au travers la personne du Général Giraud,
ont échoué, et le
danger est
écarté de l'installation en France d'une
administration militaire
alliée pilotée
par les Américains. Seul le drapeau français
flottera au fronton des
édifices
publics. |
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En
mai 1943, la
France est occupée depuis
trois ans. Pourquoi le C.N.R. n'a-t-il pas été
créé plus tôt ?
R.C. :
L'obstacle à la création du
C.N.R. est venu de l'opposition de certains dirigeants de la
Résistance,
notamment
dans la
Zone
sud, à la représentation moins des syndicats que
des partis politiques
qui, à
cette époque, étaient vomis par la population ;
soit à cause d'une
propagande
forcenée tendant à les rendre responsables d'une
défaite qui fut, en
réalité,
l'oeuvre des hommes de Vichy, soit du fait du vote du 10 juillet
à
Vichy par
lequel députés et sénateurs
s'étaient couchés devant Pétain, et
qui
avaient
indigné ceux des Français qui gardaient au
cœur la démocratie. Seuls
échappaient à cette hostilité le Parti
communiste, qui avait été
interdit dès
1939 et dont les députés ne pouvaient plus
siéger à Vichy, et les
quelques
dizaines de parlementaires courageux qui avaient voté contre
Pétain
(les "
80 "), ou qui n'avaient pu participer au vote mais dont l'attachement
à
la
République n'était pas
contestable. Fin 1942 - début 1943, les partis
républicains avaient
fait le
ménage dans leurs rangs et écarté les
éléments qui s'étaient
déshonorés
à Vichy
: ils demeuraient pour beaucoup la référence
démocratique. L'unité
entre les
mouvements pouvait aller sans difficulté. Dans la Zone
nord, les cinq
mouvements de la résistance qui avaient
été retenus pour faire partie
du C.N.R.
se ras- semblèrent en un "Comité de Coordination"
faisant pendant aux
"Mouvements Unis de la Résistance"
(M.U.R.)
regroupant Combat, Libération et
Franc-Tireur dans la Zone
sud...
Mais, dès que furent levés les obstacles
à la création d'un C.N.R.
conforme à
la mission que Jean Moulin avait reçue du
Général de Gaulle, et que le
C.N.R.
devint opérationnel, le Comité de Coordination de
la
Zone
nord et les M.U.R. en
Zone sud finirent par perdre toute justification comme facteurs
d'unité
de
toute la Résistance. Rapidement,
ils ne furent plus que des coquilles
vides. La direction nationale de la
Résistance
était désormais confiée au Conseil
National de la Résistance,
organe unique à l'image de toute la
Résistance. |
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La
résistance intérieure s'est
développée dans un contexte à
l'évidence différent de celui que
connaissaient
les combattants de la France
libre. L'acceptation de l'autorité du CFLN et de celle du
Général de
Gaulle
n'a-t-elle pas posé des problèmes ?
R.C. :
La
Résistance ne pouvait
présenter qu'un seul visage autrement toutes les
manœuvres auraient été
possibles et son autorité eût
été affaiblie. Jean Moulin avait
trouvé
en Zone
sud des dirigeants qui, pour différentes raisons, sans
exclure une part
d'ambition personnelle, rejetaient l'autorité de de Gaulle
au nom de
leur
indépendance, c'est-à-dire se condamnaient
à l'isolement au motif de
rester les
maîtres dans leur étroit domaine. Certains d'entre
eux s'abstiendront
même d'assister
à la création du Conseil National de la
Résistance,
mais leur absence ne modifiera pas le
cours des événements.
Dès ses premiers moments, le C.N.R. se place sous
l'autorité du
C.F.L.N.,
gouvernement provisoire que préside de Gaulle. Mais ce
dernier est à
Londres et
c'est le C.N.R. qui assurera l'exercice de la souveraineté
nationale
jusqu' à la Libération. Le
Général de Gaulle a un "
délégué " en France qui, dans le cadre
de sa
mission, assure la liaison avec le C.N.R. |
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Précisément
ce délégué est
Jean Moulin. Quelle est la part de " l'équation personnelle
" de Jean
Moulin dans la création du C.N.R.?
R.C. :
Ce n'est pas par hasard qu'on
a présenté Jean Moulin comme l'unificateur de la
Résistance. Dans
son discours au Panthéon, Malraux souligne le rôle
essentiel de Jean
Moulin
dans la création de "l'armée des ombres ".
Ce qu'on sait moins, c'est qu'au mois de mai 1940,
alors qu'il était encore
préfet à Chartres, Jean Moulin avait compris que
le sort des armes
françaises
était scellé et écrivait alors
à un ami : "nous allons devoir résister,
nous compter et nous unir". Jean Moulin a le sens de l'Etat, c'est un
préfet républicain, attaché aux
valeurs de la République
et au
respect de la parole donnée. Son rôle dans l'aide
à l'Espagne
républicaine est
bien connu ; sa condamnation des accords de Munich aussi. Il sait qu'il
n'y a
pas de conciliation possible avec l'idéologie nazie et n'a
jamais
nourri la
moindre illusion sur Pétain, étrangleur de la
République. Il ne
pouvait, bien que venu d'un milieu de gauche, que s'entendre avec de
Gaulle
issu d'une famille de tradition conservatrice. Ils avaient en commun
l'attachement
à la patrie et à la souveraineté de la France,
le même sens de l'Etat...
Dans les rapports parfois conflictuels qu'il eut avec
certains dirigeants
de la
Résistance,
il apparut comme un homme d'Etat ayant une compréhension
géopolitique
lui
permettant d'apprécier la situation de l'époque
dans toutes ses
dimensions. Il
savait écouter et n'imposa jamais son point de vue que,
seule, sa force
de
conviction conduisait son interlocuteur à partager.
Quelles qu'aient été les
appréciations portées sur le
rôle de Jean Moulin,
jamais personne ne mit en doute la force et la
sincérité de ses
convictions.
C'était un homme respecté, et sa foi dans
l'avenir du pays et de la République
vint à bout
des résistances les plus opiniâtres. |
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Quels
critères ont présidé au
choix des mouvements, syndicats et partis appelés
à faire partie du
C.N.R.?
R.C. :
Pour être efficace, le
Conseil National de la Résistance
devait être
une dimension raisonnable,
c'est-à-dire une structure suffisamment
légère pour travailler
sérieusement
sans éveiller l'attention des forces de
répression.
C'est dire qu'un choix s'imposait. Mais il fallait surtout que toutes
les
sensibilités de l'opinion y aient leur place, sans qu'aucune
d'entre
elles n'y
eut une part prépondérante. Dans la
Résistance,
la loi de la majorité n'avait aucun
sens. Seule l'unanimité donnait l'assurance que les
décisions arrêtées
en
commun seraient mises en oeuvre par tous. Chaque organisation membre du
C.N.R.
conservait son identité et la responsabilité du
choix dans la mise en
oeuvre
des décisions communes selon les formes les mieux
adaptées au terrain
et aux
circonstances. L'entrée des syndicats clandestins dans le
C.N.R. se fit
sans
opposition. Les deux seules organisations qui pouvaient
prétendre
parler au nom
des travailleurs étaient la C.G.T.,
réunifiée depuis les accords du Perreux en 1942,
et les syndicats
chrétiens.
Leur place dans le C.N.R. ne se discutait pas. Ils avaient
montré leur
capacité
d'organisation et de mobilisation lors des grands rassemblements de
masse pour
de meilleures conditions de vie et des droits syndicaux
réels.
Pour les mouvements, c'était un autre problème.
Il y avait beaucoup de
candidats, mais comme on ne pouvait pas réunir tout le
monde, le parti
fut pris
de s'en tenir aux huit mouvements les plus représentatifs,
c'est-à-dire, cinq
en Zone nord et trois en Zone sud. Ce choix fut bien
accepté, d'autant
que des
contacts avaient été établis depuis
longtemps entre certains mouvements
et
qu'au travers de ce maillage chacun se trouvait directement ou
indirectement
représenté au C.N.R..
J'ai dit que la représentation des partis politiques avait
été la plus
difficile à négocier. A partir du moment
où le principe avait été
acquis, il
fallait que le plus large éventail politique se
retrouvât dans le
C.N.R.,
c'est-à-dire du parti communiste au parti conservateur en
passant par
les
socialistes, les radicaux, les chrétiens, etc. Là
encore on veilla à ce
qu'il
n'y eut aucune sur-représentation qui aurait pu nuire
à l'équilibre de
l'édifice.
J'ai fait allusion à la situation à Alger au
printemps de 1943. Les
Américains
se méfiaient de de Gaulle, dont les relations avec Roosevelt
n'étaient
pas des
meilleures, loin de là. Ils ne le tenaient pas pour un vrai
démocrate
et le
soupçonnaient d'aspirer à la dictature. Le
général Giraud, bien que
fidèle à
Pétain ne les effrayait pas.
Ce qu'ils contestaient à de Gaulle, c'est de ne pas avoir le
soutien
des forces
démocratiques. Ils ne comprenaient pas les mouvements de
Résistance et
pour eux
une véritable démocratie était
fondée sur l'existence de partis
politiques et
de syndicats.
La bataille pour la représentation des partis politiques au
sein du
C.N.R.
était donc décisive. Jean Moulin finit par
convaincre les opposants, et
la
suite confirma la pertinence de ses vues. La création du
C.N.R. fut
déterminante dans l'attitude des alliés
à l'égard de de Gaulle et ce
dernier,
dans ses Mémoires de guerre, a dit combien avait
été décisif pour lui
le
soutien du C.N.R.. |
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Dans
quelles circonstances ont
été retenus le lieu et la date de la
réunion constitutive du C.N.R.?
R.C. :
Le principe de la création du
C.N.R. avait été confirmé par les deux
missions que de Gaulle avait
confiées à
Jean Moulin en 1942 et en 1943, lors de leurs rencontres à
Londres. Il
fallait
passer à l'application, le mois de mai 1943 fut retenu pour
la réunion
constitutive. Les diverses formes de résistance, mouvements,
partis,
syndicats,
avaient acquis une grande expérience de la vie
illégale, et les
arrestations
nombreuses qui avaient décimé certaines
organisations avaient conduit
au
renforcement des règles de sécurité,
rendant moins périlleuses les
rencontres
clandestines.
Au mois de mai l'accord politique étant réalise,
il ne restait plus que
la
réunion à organiser.
Paris était la véritable capitale de la
Résistance. Cela
ne veut pas dire qu'il n'y avait de résistance
qu'à Paris, mais les
responsables au niveau le plus élevé y
résidaient, clandestinement bien
entendu.
Jean Moulin, Pierre Meunier et moi appartenions avant la guerre
à
l'équipe de
Pierre Cot, le ministre du Front populaire. Tout comme le colonel
Frédéric
Manhès qui fut un des bras droits de Jean Moulin, mais qui
fut arrêté
au début
de l'année de 1943 et déporté a
Buchenwald. Nous étions habitués à
travailler
ensemble et formions une équipe homogène et
soudée. Il était normal que
le
choix du lieu de la réunion se porte sur un appartement
qu'occupait un
haut
fonctionnaire de nos amis.
Nous connaissions ses sentiments patriotiques et
républicains et aussi
son
courage car, pour lui et sa famille le moindre accident aurait pu avoir
des
conséquences dramatiques. C'était dans un
quartier de Paris
suffisamment
fréquenté pour que des mouvements discrets n'y
soient pas remarqués.
La date du 27 mai avait été
communiquée à chacun, mais il parut
préférable,
pour assurer le maximum de sécurité, de ne
communiquer à personne
l'adresse du
lieu de la réunion. Seuls Jean Moulin, Pierre Meunier et
moi-même la
connaissions. Chaque délégué avait un
rendez-vous éloigné du lieu de
réunion,
et c'est deux par deux que Pierre Meunier et moi allâmes les
récupérer.
Cette
réunion a été la plus importante dans
l'histoire de la Résistance,
et aussi la
plus périlleuse en raison de la qualité des
participants tous
recherchés par la
police. Nous avons conserve la même technique pour
l'organisation
ultérieure
des réunions du C.N.R. et de son Bureau. Jamais nous
n'eûmes le moindre
désagrément. Plus d'un demi-siècle
après, je ne cesse de penser que si
les
mêmes précautions de
sécurité avaient été prises
lors du rendez-vous de
Caluire, Hardy n'aurait jamais pu conduire la Gestapo
jusqu'au lieu de
réunion et Jean Moulin n'aurait pas
été arrêté.
La réunion fut relativement brève.
Sécurité oblige. Jean Moulin rappela
les
buts de la France Combattante tels
que les avaient définis de Gaulle. Le
représentant des chrétiens-démocrates
Georges Bidault présenta une
motion qui,
après échange de vues, fut adoptée
à l'unanimité et qui soulignait
notamment la
volonté de la Résistance
de voir se constituer à Alger un gouvernement
présidé par le Général de
Gaulle.
On a écrit beaucoup de choses sur
l'âpreté des discussions. En fait,
tout se
déroula dans une atmosphère d'unité
patriotique et de dignité. |
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Comment
va s'organiser
l'activité du C.N.R. et dans quel sens?
R.C. :
L'arrestation de Jean Moulin
en juin 43 retarda, mais de très peu relativement, la mise
en place des
structures du C.N.R. ; de trois mois environ, ce qui est peu si l'on
veut se
souvenir que le travail clandestin imposait des servitudes
particulières. Nous
n'avions pas d'adresse, pas de téléphone, pas de
bureau fixe, et chacun
avait
un nom qui n'était pas le sien et que les autres ne
connaissaient pas.
Heureusement, d'ailleurs.
Dans l'ordonnance concernant le Conseil National de la
Résistance,
et les
diverses déclarations de de Gaulle, notamment celle du
début mai 1943,
les
tâches du C.N.R. ne sont pas précisées.
A Londres, la Résistance
intérieure
était surtout considérée comme une
force d'appoint au moment du
débarquement.
Mais le C.N.R. était né du combat, pour le
renforcer, et ne pouvait pas
ne pas
se consacrer aussi à son développement.
Le premier appel à la Nation,
lancé par le C.N.R. en août 43
réaffirme clairement : « Contre
l'ennemi et
contre la trahison, le C.N.R. assume, en communauté
étroite avec le
Comité
Français de la
Libération Nationale, et
dans la fidélité à la doctrine de la France
combattante, la
mission d'inspirer, de coordonner et de diriger la lutte du peuple
français sur
son propre sol ». Comme je l'ai dit, le C.N.R. ne
fait pas
disparaître
l'identité des organisations qui le composent. Il les unit
dans la
diversité.
Pour assurer le maximum de sécurité, ce qui
excluait la répétition de
réunions
nombreuses, le C.N.R. ne tiendra que trois séances
plénières jusqu'à la
Libération,
tout en
effectuant un travail efficace.
A compter de septembre 43 le travail permanent sera assuré
par un
Bureau de
cinq membres qui, lui, se réunira très
fréquemment, au moins une fois
par
semaine. Chacun y représente sa propre organisation et deux
autres
membres qui
l'ont désigné. Quand ils seront
créés, les Comités
départementaux de la
Libération
constitueront le prolongement dans le pays du C.N.R.. Avec le C.N.R. la
Résistance
a une
dimension nationale. |
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Quelles
conséquences
politiques va avoir l'arrestation de Jean Moulin?
R.C. :
La disparition de Jean Moulin
en juin 43 va modifier l'ordre des choses, mais le travail du C.N.R. ne
s'en
ressentira pas. Jean Moulin était à la fois le
Président du Conseil
National de
la
Résistance
et le représentant en France occupée du C.F.L.N.
présidé par de Gaulle.
Jean
Moulin n'avait pas, en France, d'adjoint envoyé par Londres
qui ait
l'autorité
suffisante pour s'imposer à la résistance
intérieure. Jean Moulin
n'avait été
accepté dans sa double mission que parce qu'il
était un combattant de
l'intérieur. On ne pouvait pas ouvrir une crise qui aurait
nui à
l'unité de la Résistance. Le
C.N.R. décida, par un vote, de désigner un
successeur à Jean Moulin.
Ce fut Georges Bidault qui, représentant les
chrétiens-sociaux, se
situait au
centre de l'échiquier politique, c'est-à-dire en
bonne position pour
veiller à
l'équilibre et à l'unité du C.N.R.. Il
avait pour lui qu'avant la
guerre, il avait
été très actif dans la lutte contre
les accords de Munich, et Jean
Moulin avait
pensé que s'il venait à disparaître,
Georges Bidault serait le meilleur
candidat.
Ce dernier, en outre, appartenait à la fois à
Combat et au Front
National.
On a dit beaucoup de sottises sur les conditions de
l'élection de
Bidault. On a
prétendu que son élection a
été une manœuvre de Pierre Meunier et
de
moi,
téléguidée par le Parti communiste.
Cela ne repose sur aucun fondement.
C'était
l'homme qui correspondait aux exigences de la situation. Il n'est pas
sain de
juger les événements de cette époque
en fonction de nos préférences
contemporaines. |
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Lorsque
le C.F.L.N. puis le
gouvernement d'Alger (GPRF) sont bicéphales, avec
à leur tête de Gaulle
et
Giraud dont on connaît l'antagonisme, comment le C.N.R. se
positionne-t-il
alors?
R.C.:
Au printemps de 1943 la
querelle de Gaulle-Giraud retenait toute l'attention de la
Résistance. Le
Général
Giraud n'avait jamais caché qu'il demeurait
fidèle à Pétain, et on peut
penser
que son évasion avait été
organisée avec le concours des services
secrets
américains. C'était du pétainisme sans
les nazis. Mais c'était quand
même la
politique antipopulaire de Pétain.
Par le canal du C.N.R., la Résistance
intérieure
signifia sa confiance à de Gaulle pour
diriger le gouvernement provisoire. Par sa dimension nationale, par son
autorité dans le pays occupé, la
Résistance
intérieure était en position de faire valoir ses
exigences. |
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Le
Général de Gaulle a, en la
personne d'un
« délégué
général », un
représentant
personnel en
France occupée. Quels rapports ce dernier entretient-il avec
le C.N.R.?
R.C.:
Les rapports entre le C.N.R.
et la délégation générale
de de Gaulle en France étaient bons.
Le
représentant de de Gaulle assistait aux réunions
du C.N.R. et du
Bureau. Le
seul joint d'accrochage, sérieux, se situe au cours des
combats de la Libération
de Paris à
propos de la trêve. Le C.N.R. avait rejeté la
trêve proposée par les
Allemands,
et l'envoyé de de Gaule finit par se rallier, non sans vives
discussions à ce
point de vue, Il n'était pas imaginable que le peuple de
Paris ne soit
pas
l'acteur de sa propre délivrance et laisse les nazis quitter
tranquillement Paris
avec armes et bagages. |
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Plus
généralement, quels vont
être les rapports entre la
Résistance intérieure -
que représente le C.N.R., et la France
libre?
R.C.: L'autorité
du C.N.R. tient au
fait qu'il regroupe toutes les forces de la
Résistance
intérieure.
Comme je l'ai déjà dit, chacune de ses
organisations conserve son
identité mais
applique les mêmes décisions. Le C.N.R. dirige la
Résistance
dans tous
ses aspects. La coopération avec Londres ne va pas toujours
sans
problèmes. La
Résistance Intérieure
n'entend pas être un simple organisme d'exécution
de consignes venues
de
l'extérieur et qui pourraient entraver son
développement. Il y a,
jusqu'au
printemps de 1944, une différence de perspective entre le
C.N.R. et
Londres. A
Londres on souhaite que la Résistance
soit une
force d'appoint au moment du
débarquement. Attentisme ou action directe, telle est la
problématique.
A
Paris, le niveau de combativité du peuple est
élevé. Le C.N.R. parle et
agit
avec l'autorité des forces qui luttent pour leur
libération. Il lance
des mots
d'ordre d'action. Il traduit la volonté des
Résistants de participer à
leur
propre libération. |
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Outre
par son rôle de
fédérateur de la
Résistance,
le C.N.R. est entré dans l'histoire par son programme.
Comment ce
programme
a-t-il été élaboré, et dans
quelle optique?
R.C.:
Le programme du C.N.R. n'est
pas né dans une nuit. Sa rédaction a
été précédée de
longues
discussions.
Plusieurs textes ont été examinés,
provenant de l'une ou l'autre des
parties
engagées. Le texte adopté en mars 1944 a
comme vertu de mettre en cohérence la
volonté de lutte et l'exigence de la
société post-Libération.
Dans la première partie du programme, le C.N.R.
après avoir insisté
auprès du
Gouvernement provisoire pour que les Résistants
reçoivent des armes,
décide une
série de mesures destinées à mobiliser
l'opinion et à la préparer
politiquement
et militairement à l'assaut final. Il serait fastidieux
d'énumérer ces
mesures
qu'on trouve dans la première partie du programme du C.N.R..
Au cours
de l'an-
née 1942, on trouve dans la presse clandestine une exigence
qui va
au-delà de la Libération du
territoire. Il ne suffit pas de se battre, faut-il encore savoir
pourquoi. Les
sacrifices très lourds payés par les
Résistants ne doivent pas être
inutiles.
Pas question de voir revenir sur le devant de la scène les
hommes et
les forces
de la collaboration, qui ont pillé le pays et
brisé les institutions
républicaines.
Une large gamme de mesures à appliquer après la
Libération
est définie.
Ce qu'il faut retenir, c'est que cette partie du programme
répond à la
volonté
de changement exprimé par la
Résistance de bâtir une
société plus juste, plus solidaire,
plus démocratique, plus ouverte. |
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Quel
a été le rôle du Comité
Général d'Etudes dans l'élaboration du
programme du C.N.R.?
R.C.:
Le Comité Général d'Etudes, -
c'est le nom qui s'imposa - avait été
créé par Jean Moulin en 1942 pour
être en
France- même le Conseil politique du Comité
Français de Libération
Nationale de
Londres ; il s'installa à Paris en 1943. A
cette époque, le Conseil National de la
Résistance
et la Délégation
Générale
du gouvernement de Londres en France occupée restent les
deux seules
institutions se partageant l'autorité gouvernementale sur
l'ensemble de
la
Résistance intérieure.
Le rôle du C.G.E. ne sera pas des moindres, même si
de sérieux conflits
d'attribution, notamment avec les mouvements de résistance
de la zone
nord, se
produisirent. Mais on ne peut en quelques phrases résumer le
rôle et
l'apport
du Comité Général d'Etudes. Disons,
à propos du programme du C.N.R. que
le
texte du C.G.E. fut l'un des cinq ou six qui furent
examinés. Mais seul
le
projet présenté par le Front National (le vrai)
et aménagé par les
M.U.R. (Zone
sud) fut retenu, en raison de sa cohérence puisqu'il liait
la lutte
pour la
libération à l'exigence d'une
société nouvelle après la
Libération. |
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Les
femmes ont joué un rôle
important, décisif à bien des égards,
dans la
Résistance. Or, le
programme du C.N.R. est muet sur le droit de vote des femmes…
R.C.:
Le programme adopté, à
l'unanimité, en mars 1944, par le C.N.R. est l'expression de
la volonté
de la
Résistance de
participer pleinement - c'est-à-dire de ne pas
être une force d'appoint
- à la
libération du pays, en liaison avec les armées
alliées. Et, en même
temps, il
traduit l'exigence d'un peuple, qui se bat et meurt face à
une
occupation
étrangère sans pitié, d'en finir non
seulement avec la présence des
nazis mais
aussi avec celle du gouvernement Pétain, lequel a
plongé le pays dans
le
déshonneur de la collaboration et dans la misère.
C'est donc un
programme de
caractère progressiste, qui comporte toute une
série de mesures sur les
plans
politique, économique et social, mesures que de Gaulle avait
évoquées
dans son
discours d'Alger en novembre 1943. C'est
un programme qui correspond au rapport des forces
du moment, et n'aborde que ce qui est susceptible de rencontrer
l'unanimité des
forces de la Résistance. Il
a donc
ses limites et l'absence, par exemple,
de référence au droit de vote des femmes est
caractéristique des
oppositions
formulées par certains secteurs de la
Résistance. Mais
la question doit être restituée dans le contexte
d'il y a cinquante
ans, et non
vue avec nos yeux aujourd'hui.
Ce qui est intéressant à noter, et c'est
là un des aspects de la portée
historique du programme du C.N.R., c'est qu'aux élections
législatives
qui
suivirent immédiatement la
Libération, les femmes
votant pour la première fois, tous les
partis politiques sans exception, de la gauche à la droite,
firent leur
le
programme du C.N.R. Il correspondait donc bien à la
sensibilité de
l'époque. |
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Qu'en
a-t-il été de la mise en
oeuvre du programme du C.N.R.?
R.C.:
De la victoire sur
l'Allemagne hitlérienne en mai 1945 à la
moitié de 1947, les conditions
ont été
favorables pour la mise en oeuvre d'un grand nombre de dispositions
contenues
dans le programme du C.N.R.. Rappelons,
par exemple, l'institution de la Sécurité Sociale,
la nationalisation des grands groupes de l'énergie du
transport et du
crédit,
la loi sur l'assurance-vieillesse, la
Constitution
de la
IVè
République,
la
loi sur les Comités d'entreprise, sur les conventions
collectives, sur
le
salaire minimum vital, etc.
Le Conseil National de la
Résistance
est alors au cœur de la vie publique. Mais les
espoirs nés de la Résistance
vont
malheureusement céder la place aux tensions
de la guerre froide. La désunion des pays hier
alliés dans le combat
contre
l'idéologie criminelle du nazisme se répercutera
dans les relations
entre
Résistants. Des fractures graves vont affaiblir le courant
d'union né
dans la
Résistance. La
guerre froide marque un recul dans le progrès que contenait
en germe le
programme du C.N.R..
Un demi-siècle s'est écoulé depuis la
fin de la guerre. Peut-on dire
que le
programme du C.N.R. a conservé son caractère
d'actualité ? La
réponse est
oui. Bien sûr, il ne s'agit pas d'en réclamer la
mise en application
mécanique.
La situation n'est plus la même. Mais ce qui demeure, et
constitue un
tremplin
dans la bataille contemporaine ce sont les valeurs de
caractère
universel qu'il
contient, c'est-à-dire la liberté, la
démocratie, la justice sociale,
la
solidarité, la tolérance,
l'indépendance nationale, dont la sauvegarde
est un
devoir indispensable à une époque où
sont remises en cause ces valeurs
de la
Résistance,
c'est-à-dire de la République,
et où les
négationnistes s'emploient à pervertir
la réalité de l'histoire.
En faisant du
programme du C.N.R. sa référence constante, l'A.N.A.C.R.
est fidèle à l'image
de la
Résistance
et c'est pourquoi elle est la seule organisation de ce type qui peut
revendiquer
le pluralisme qui donna à la
Résistance sa force et
sa grandeur. |
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Résistance » (ANACR)
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